Le règne des Bourbons contient certes des récurrences dans la conception des relations entre l’État et l’Église, mais la politique religieuse reste à l’image du souverain : celle de Louis XIV ne fut pas celle de Louis XV, et encore moins celle de Louis XVI. Le Roi-Soleil fut un roi catholique, mais surtout gallican : défendre la raison d’État et s’affirmer en champion du catholicisme relevaient parfois d’une approche commune, quand bien même cela signifiait une opposition frontale au Saint-Siège. À ceux qui lui reprochèrent ses ingérences, avérées ou non, Louis XIV s’efforça pourtant de leur opposer la cohérence de ses actes, leur conformité au serment du sacre et un souci du juste milieu.
La querelle de Philippe le Bel contre Boniface VIII
Cette réaction énergique du pouvoir temporel contre l'autorité spirituelle
Le besoin d'argent, qui augmentait à mesure que grandissait l'action du pouvoir royal et que s'étendait sa dispendieuse administration, fut, sinon l'unique, du moins le principal mobile de la politique de Philippe le Bel.
Cette nécessité pressante, qui devait décider l'abolition de l'ordre des Templiers, qui cherchait des ressources dans les impôts nouveaux, dans l'altération des monnaies, dans l'expulsion des juifs et la confiscation de leurs biens, amena la lutte la plus importante de la fin du treizième siècle, celle dans laquelle la papauté, jusqu'alors supérieure à toutes les puissances, reçut une première et violente atteinte.
La querelle de Philippe le Bel contre Boniface VIII, cette réaction énergique du pouvoir temporel contre l'autorité spirituelle, à laquelle s'intéressent non seulement la France et l'Italie, mais l'Europe entière, qui en attend I'issue avec une inquiète impatience, commença par une question d'argent.
Philippe le Bel pour continuer la guerre contre l'Angleterre, voulut soumettre le clergé de France aux redevances générales ; il lui demanda de payer I'impôt.
Le pape, qui prétendait que le clergé relevait de sa seule autorité, ordonna de résister aux ordres du roi de France ; et par une première bulle, -il excommunia tout clerc qui consentirait à payer un impôt sans l'ordre du saint siége, et tous ceux qui établiraient un pareil impôt, quels qu'ils fussent. Ce fut l'origine de ce débat, dont les proportions s'agrandirent bientôt et qu'envenima rapidement le caractère des deux adversaires.
Philippe et Boniface étaient également hautains, opiniâtres ; le roi de France, fier de son autorité, prétendait l'exercer sans contrôle ; le pape, énergique et habile, ne voulait pas de son côté laisser déchoir les privilèges et la suprématie du saint siége.
Toutefois, uni par d'ancien liens à la France, dont l'influence lui avait donné le trône pontifical, se rappelant avec quelle fidélité la royauté avait défendu en toute circonstance la cause de l'Église, Boniface VIII essaya d'abord d'obtenir par la modération et la douceur la réconciliation de Philippe ; mais celui-ci était offensé trop profondément pour se soumettre.
LES ORIGINES DU GALLICANISME
Le gallicanisme, si l'on en croit les théoriciens des xvi° et xvII° siècles, serait aussi ancien que l'Église de France elle-même. Celle opinion a été
partagée par certains historiens modernes : E.-Ch. Babut croit en relever des traces dès le v° siècle; l'abbé Arquillière, dans un article paru en 1909 dans l'Université catholique, se contente de le faire remonter à Charlemagne; à plus juste titre, M. Ferdinand Lot, dans ses Études sur le règne de Hugues Capel, en situe la plus lointaine apparition à la fin du x° siècle. Pour d'autres, le gallicanisme, au contraire, ne serait pas antérieur soit au conflit de Philippe le Bel avec Boniface VIII, soit au Grand Schisme d'Occident, soit mème au xvi° siècle.
Cette incertitude chronologique tient avant tout à ce que le terme de gallicanisme n'a pas toujours, au cours de l'histoire, revêtu la mème signification. Détracteurs et défenseurs des « libertés gallicanes », trop souvent aveuglés par des préoccupations polémiques ou apologétiques, ne se sont guère préoccupés d'en définir le sens exact. De là, dans la plupart des travaux anciens ou récents qu'a suscités cette épineuse question, une obscurité et une confusion que ne sauraient dissiper des formules tranchantes ou des jugements lapidaires qui dissimulent mal l'absence de méthode critique et d'esprit scientifique.
Le gallicanisme, une spécificité du royaume de France
Dans l’histoire de l’Église, la primauté pontificale a soulevé de nombreuses oppositions de la part de puissances temporelles et religieuses. Les papes se sont en effet confrontés aux empereurs romains puis germaniques, aux patriarches de Constantinople, ou encore aux tenants des différentes thèses conciliaristes avant même les protestants. Les papes ont aussi défendu fermement leurs droits contre de nombreuses thèses provenant de théologiens ou de canonistes qui ont inventé de nouveaux modes de gouvernement de l’Église ou de fondement de la souveraineté au sein de l’Église. Certaines d’entre elles subsistent encore. Les conflits qui ont opposé les papes et les empereurs ou les rois ont aussi abouti à une remise en question de la primauté pontificale. La question de la primauté pontificale est ainsi au cœur de nombreux conflits. En 1870, elle a fini par donner lieu à la constitution dogmatique Pastor aeternus. Pourtant, aujourd’hui encore, au sein de l’Église, elle demeure au centre de nombreuses questions, voire de la crise que nous connaissons.
Après avoir affronté la puissance impériale avec succès, les papes ont dû faire face aux nouveaux États européens et à leur affermissement sur la scène internationale. La France n’a pas été le moindre de ses adversaires. La « fille aînée de l’Église » s’est parfois montrée virulente dans son opposition à l’autorité pontificale. Cette opposition semble même être une constante dans son histoire. Certes, elle a pu être violente et extraordinaire dans l’attentat d’Anagni ou dans l’affaire de Saisset mais elle n’est pas circonscrite à un règne. Ce mouvement, plus ou moins fort, en est même une particularité. Il porte un nom : le gallicanisme…
Qu’est-ce que le gallicanisme ?
Le terme est employé pour désigner un mouvement à la fois religieux et politique qui cherche à assurer l’indépendance du Royaume de France contre ce qui apparaît comme des empiétements de la papauté. Certains historiens le voient apparaître au XIVe siècle lors du grand schisme d’Occident, d’autres le font commencer sous le règne de Louis XIV au XVIIe siècle. Pourtant, le terme est plutôt récent. Il daterait du XIXe siècle[1], c’est-à-dire à une époque où le pape doit défendre son autorité et l’affirmer, notamment lors du premier concile de Vatican. Les événements et les débats qui ont lieu sont sans-doute l’occasion de mieux percevoir les mouvements d’idées qui animent le passé et qui demeurent imperceptibles pour ceux qui en étaient les acteurs. C’est peut-être aussi un moyen bien commode pour identifier des attitudes et des faits. Le terme de « gallicanisme » est donc appliqué à un passé par ceux qui ne l’ont pas connu au risque de le travestir. Il pourrait encore traduire un idéal du XIXe siècle ou encore une conception de l’histoire peut-être bien étrangère à la réalité historique.
Cependant, le terme de « gallicanisme » traduit aussi un fait qui ne peut être ignoré, la volonté du royaume de France de défendre ce qui étaient appelées les libertés gallicanes ou encore les privilèges de l’Église gallicane.
En effet, avant le XIXe siècle, seul le terme de « gallicane » était vraiment utilisé. Il semble que ce terme lui-même a évolué. Avant le XIVe siècle, il ne désignait qu’un certain particularisme, faits d’usages et de coutumes, en relation avec Rome, qu’on cherchait à défendre contre les seigneurs et contre les rois. Le pape apparaissait aux yeux des évêques et des abbés comme la seule autorité capable de les défendre contre leurs interventions et leurs abus. Après le XIVe siècle, le terme est plutôt utilisé pour désigner l'opposition française à Rome et sa volonté de préserver ce qu’elle nomme un droit sous la direction du roi.
Le « gallicanisme » n’est donc pas vraiment une doctrine en dépit du terme qui le définit, même si elle défend quelques thèses, notamment le conciliarisme ou l’indépendance du temporel. Il est surtout marqué par une volonté de préserver ce qui apparaît comme des droits contre ceux qui veulent les réduire au sein de l’Église gallicane, c’est-à-dire de l’Église de France. L’objet de la défense est soit des coutumes, des privilèges ou des droits. Le terme de « maximes » est aussi utilisé.
Il s’agit donc avant tout de préserver le particularisme de l’Église dite gallicane contre tout empiétement, soit du pouvoir religieux comme le pape, soit du pouvoir temporel comme le roi ou les seigneurs.
Quelques caractéristiques du « gallicanisme »
Le terme de « gallicanisme est marqué par une certaine longévité. Pour certains historiens, elle est perceptible dès le IXe siècle sous les traits d’Hincmar, l’archevêque de Reims. Elle est nettement visible dès le XIVe siècle sous le règne de Philippe le Bel et lors du Grand Schisme. Elle s’affirme surtout au XVII et XVIIIe siècle. Bossuet en est presque l’incarnation. Le gallicanisme demeure fortement dépendant des événements historiques, de la personnalité d’un roi ou de celle d’un pape. Les relations entre le roi Philippe le Bel et le pape Boniface VIII, l’arrivée d’un protestant sur le trône royal, l’affermissement du pouvoir royal, surtout sous le règle de Louis XIV, ou encore le jansénisme influencent de manière inéluctable le « gallicanisme ».
Cependant, le « gallicanisme » est restreint au temps du « royaume de France », c’est-à-dire à la royauté. Si le terme apparaît au XIXe siècle, il porte en lui un certain anachronisme. Pouvons-nous en effet parler de « gallicanisme » au temps de la troisième république ? Il est donc fortement lié à un régime politique. Il est vrai que certains historiens entendent commencer le « gallicanisme » au temps de la Gaule, voire l’inscrire dans l’histoire de l’Église gallo-romaine depuis ses origines.
Le « gallicanisme » est aussi localisé dans un espace, dans un État. Il ne concerne que le royaume de France. Le terme de « gallican » est assez clair. C’est pourquoi il est parfois présenté comme une défense du nationalisme religieux. Il est ainsi parfois vu comme le précurseur de ce qu’il est considéré aujourd’hui comme le particularisme religieux de la France. Il est sans-doute lié au rôle que la France entend jouer dans le christianisme.
Le « gallicanisme », un mouvement anti-romain ?
Le « gallicanisme » est surtout connu pour son opposition au pape. Cette opposition n’est pas l’apanage du royaume de France. Pendant de longs siècles, l’empereur germanique a combattu le pape et a voulu limiter son autorité, y compris dans l’Église. Une forte opposition s’est aussi exprimée dans le « fébronisme » au XVIIIe siècle, dans le « joséphisme » en Autriche au siècle suivant. L’« anglicanisme » à ses premières heures dans le royaume d’Angleterre est aussi apparu comme une ferme contestation contre l’autorité pontificale afin de préserver les intérêts du roi.
Contrairement à ces différentes formes « nationales » de contestation, le « gallicanisme » restreint son combat au royaume de France. Il ne cherche pas à s’imposer hors du royaume et à s’étendre hors de ses frontières. De manière générale, il ne cherche pas non plus à imposer une révolution, à créer une nouvelle conception de l’Église ou à édifier de nouvelles doctrines comme celle de Marsile de Padoue ou de Guillaume d’Ockham, même si une certaine forme de « gallicanisme » tente de le faire. Il est néanmoins vrai que le « gallicanisme » défend et développe une forme de conciliarisme au temps du Grand Schisme d’Occident. C’est un des points qu’il partage avec les autres adversaires du pape.
Mais l’autre point fondamental qui diffère le « gallicanisme » des mouvements anti-romains est sa volonté de refuser toute séparation avec Rome pouvant entraîner un schisme. Il affirme en effet sa fidélité à l’égard de l’Église catholique et sa volonté d’y rester uni. « Ce qui est gallican, c'est la fidélité gardée à ces doctrines, plus tard, quand les autres pays les auront abandonnées. »[2] Ainsi, il n’a jamais cherché à créer des « antipapes ». Il faut attendre la constitution civile du clergé pour que se réalise finalement la rupture. Mais est-ce encore du « gallicanisme » ?
Ainsi, le « gallicanisme » est donc une spécificité du royaume de France, mêlant opposition et fidélité à l’égard de Rome.
Les différents gallicanismes
N’imaginons pas qu’il n’y a qu’un seul gallicanisme. Il prend en fait plusieurs formes selon les protagonistes et les motivations.
Nous entendons souvent parler d’un « gallicanisme » ecclésiastique, universitaire, politique, parlementaire ou encore royal. Cette diversité révèle des conceptions différentes de ce que sont l’Église gallicane et les libertés gallicanes. Selon les époques, l’un d’entre eux s’affirme au détriment des autres.
Le « gallicanisme ecclésiastique » tend à préserver les pouvoirs d’une autorité locale, des évêques ou des prêtres. Il contient ainsi deux formes de « gallicanisme ». Il peut être épiscopal ou presbytérien. Il adhère plus ou moins à des idées conciliaristes. Il considère en effet que l’autorité des conciles œcuméniques est supérieure à celle du pape. Il conteste donc la primauté pontificale absolue. Les évêques gallicans limitent son pouvoir par les coutumes des Églises locales et l’associent à celui du corps épiscopal. Bossuet, évêque de Meaux, en est un des plus beaux représentants. Le « gallicanisme presbytérien » est plus radical. Il fonde la souveraineté dans l’ensemble des pasteurs, les simples prêtres y compris. Parmi les tenants de ce gallicanisme, nous pouvons citer Edmond Richer. Enfin, le « gallicanisme ecclésiastique » porte sur des questions religieuses, liées à la primauté pontificale et à l’infaillibilité du pape, et à des questions disciplinaires. Il n’est guère spéculatif.
Le « gallicanisme universitaire » est propre à l’Université de Paris. Il défend son autorité en matière religieuse contre ceux qui veulent la restreindre ou intervenir dans son enseignement. Son prestige est grand en matière de foi et de discipline religieuse. Mais il ne se réduit pas à cela. Il est aussi très spéculatif. Le conciliarisme en est le point marquant. L’Université de Paris prône en effet la supériorité de l’autorité conciliaire sur celle du pape. Il daterait du Grand Schisme de l’Occident au cours duquel elle défend des thèses conciliaristes, notamment aux conciles de Pise et de Bâle. Parfois, il est regroupé dans le « gallicanisme ecclésiastique » lorsque l’Université et le clergé se regroupent dans une même opposition. Cette confusion est la conséquence d’un affaiblissement de son rôle et de son autorité.
Le « gallicanisme politique » tend à restreindre les pouvoirs de l’Église au profit de ceux de l’État. Il défend deux idées : celle de l’indépendance totale du temporel et celle de la toute-puissance souveraine de l’État sur l’Église gallicane. Comme le pouvoir dans le royaume de France est réparti entre le roi et le Parlement de Paris, le « gallicanisme » est dit soit royal, soit parlementaire. Le roi entend exercer son autorité sur les clercs et sur l’ensemble de ses sujets puisqu’il est maître de son royaume. Le « gallicanisme politique » date probablement des conflits qui ont opposé le roi Philippe le Bel au pape Boniface VIII. Il est érigé en une force grâce notamment aux efforts des légistes. Cependant, le « gallicanisme royal » n’hésite pas à faire des compromis avec le pape pour préserver ses intérêts, en particulier par des concordats, contrairement au « gallicanisme parlementaire ». Ce dernier est aussi une forme d’opposition contre l’autorité royale.
Les différents « gallicanismes » forment une étrange opposition contre les prétentions romaines, chacun défendant les « libertés de l’Église gallicane ». Attitudes ou doctrines, ils sont divers, aux multiples nuances, n’échappant pas aux incohérences. Ils sont au cœur de nombreux conflits entre la papauté et le clergé, l’Université et le Parlement de Paris, et le roi. Et dans ces conflits qui ponctuent l’histoire de France sous l’ancien régime, ils ne se concordent guère. Ils s’opposent ou s’accordent selon les circonstances et les intérêts de chacun. « Les libertés de l'Église gallicane, équivoques et vagues à souhait, peuvent être interprétées différemment en raison de la formation, des intérêts et des préoccupations de ceux qui font profession de les défendre. »
Laissons enfin parler l’abbé Martimont qui a si bien défini ce qu’était les « gallicanismes » dans sa thèse solide et unanimement appréciée. « Il n'y a pas un gallicanisme, mais des gallicanismes, tant sont différentes les traditions des docteurs, des évêques, des magistrats, des rois. Les doctrines elles-mêmes ne constituent que l'une des composantes du gallicanisme, dans lequel entre une part prépondérante d'irrationnel : l'opposition entre le tempérament religieux des Français et des Italiens. Beaucoup plus d'ailleurs que de théories et d'opinions, le gallicanisme est fait d'attitudes concrètes, de démarches à l'égard du Saint-Siège ou de ceux qui le représentent ; son évolution est extraordinairement sensible à la conjoncture internationale, aux guerres, aux alliances, à la diplomatie, aux situations de personnes. »
Conclusion
Comment pouvons-nous finalement définir le « gallicanisme » ? Le terme semble désigner un ensemble d’attitudes, d’opinions et de doctrines religieuses et politiques spécifiques au royaume de France, qui s’opposent à toute intervention abusive soit du roi et des seigneurs à l’égard du clergé, soit du pape dans les affaires religieuses ou temporelles du royaume, sans pourtant aller au schisme. Ainsi le « gallicanisme » est une réponse du royaume de France aux problèmes que soulèvent les rapports entre les puissances religieuses et temporelles ainsi que la primauté pontificale.
Le « gallicanisme » a nettement marqué l’histoire du royaume de France. Si le terme est plutôt un anachronisme, il évoque néanmoins le périmètre restrictif d’un ensemble de mouvements complexes, qui parfois se rejoignent dans son opposition contre tous ceux qui peuvent enfreindre ou limiter les coutumes et les privilèges de l’Église gallicane, notamment le pape. Si le « gallicanisme » est surtout connu pour sa résistance aux empiètements de Rome, il ne peut être englobé dans tous les mouvements anti-romains. Car contrairement aux orthodoxes, aux anglicans ou aux protestants, son opposition connaît une limite. Le « gallicanisme » ne va pas jusqu’à la rupture, jusqu’au schisme ou à l’hérésie. Il demeure fortement attaché à l’Église catholique.
Ce n'est donc pas un hasard que le terme de « gallicanisme » apparaît au XIXe siècle. On cherche à déterminer les responsabilités dans l’origine de la Révolution de 1789 et plus spécialement dans la constitution civile du clergé. La défense des libertés gallicanes contre Rome fait en effet l’objet d’accusation de la part des « ultramontains », c’est-à-dire de ceux qui sont fortement attachés au Saint-Siège. On cherche alors soit à l’accuser, soit à l’innocenter des événements qui ont conduit au régime révolutionnaire. Le terme est alors porté d’une mémoire et d’une idéologie bien étrangère à ce qu’il est censé désigner. On voit qu’il n’a plus lieu d’être dans la nouvelle société qui s’est développée depuis 1789. Mais surtout, le « gallicanisme » ou ce qu’il représente n’a finalement plus de raison d’être après le premier concile de Vatican. Car désormais, celui qui conteste la primauté pontificale devient hérétique. Les équivoques, le difficile équilibre entre l’opposition et l’attachement au Saint-Siège ainsi que les demi-mesures ne sont désormais plus tenables.
Gallicanisme et Fébronianisme
Le gallicanisme est la doctrine religieuse et politique qui tend à affirmer l'indépendance de l'Église de France par rapport à la papauté.
On distingue le gallicanisme ecclésiastique, le gallicanisme royal et le gallicanisme parlementaire :
- le gallicanisme ecclésiastique estime que les décisions du concile œcuménique prévalent sur l'avis du pape, que ce dernier n'est pas infaillible, et que tous les évêques sont les successeurs des apôtres,
- le gallicanisme royal revendique l'indépendance absolue des rois de France par rapport à Rome dans toutes les affaires temporelles,
- le gallicanisme parlementaire, plus radical, prône la complète subordination de l'Église française à l'État et, si nécessaire, l'intervention du gouvernement dans les affaires financières et disciplinaires du clergé.
CHRONOLOGIE HISTORIQUE
Les prémices
Charles Martel (v. 688-741) commence à distribuer à ses leudes les terres de l'Église. Au cours de l'hiver 993/994, le roi Robert II (associé au pouvoir par son père le roi Hugues Capet) préside le synode de Chelles au cours duquel Gerbert d'Aurillac (futur pape Sylvestre II), et de nombreux évêques français prennent position pour l'indépendance de l'Eglise de France vis-à-vis de Rome. En juin 995, au concile de Mouzon (Ardennes) présidé par Léon, légat du pape, Gerbert reconnaît la primauté du pape mais affirme que celui-ci n'a pas à intervenir directement dans les affaires de province qui relèvent des conciles provinciaux dont le rôle a été défini par le Concile de Nicée. En 1078, le roi de France, Philippe Ier, s’octroie la régale du chapitre de Notre Dame, privant l’évêque de ses revenus : celui-ci réplique en mettant le diocèse en interdit. Bernard de Clairvaux écrit au pape Eugène III (1145-1153) : « Vous pouvez tout, mais rien ne convient mieux à la puissance que la règle ; vous êtes non pas le seigneur des évêques, mais l'un d'eux. On ferait un monstre du corps humain, si l'on attachait immédiatement à la tête tous ses membres. » Louis IX (saint Louis), roi de France de 1226 à 1270), décide : « Les prélats, patrons et collecteurs de bénéfices, jouiront pleinement de leurs droits, des droits consacrés par le temps et que le pape revendique ; les cathédrales et autres églises du royaume feront librement leurs élections ; le crime de simonie sera banni de tout le royaume ; les promotions et les collations seront faites selon le droit commun et les décrets des conciles ; les exactions intolérables par lesquelles la cour de Rome a misérablement appauvri le royaume cesseront d'avoir lieu, si ce n'est pour d'urgentes nécessités, et du consentement du roi et de l'Église gallicane ; les libertés, franchises, immunités, droits et privilèges accordés par les rois aux églises et aux monastères sont confirmés. »
Formulation de la doctrine gallicane
La doctrine du gallicanisme est formulée pour la première fois par les légistes de Philippe IV le Bel (1285 à 1314) lesquels, en lutte contre ce qu'ils considérent des abus de la justice spirituelle, justifient l'indépendance du pouvoir temporel par rapport au pouvoir spirituel, d'abord sur le plan judiciaire, ce qui entraîne un conflit aigu entre le roi de France et le pape Boniface VIII, qui, par la bulle Unam Sanctam du 18 novembre 1302, affirme les pleins pouvoirs de l'Eglise, tant sur le plan temporel que sur le plan spirituel : « Il est de nécessité de salut de croire que toute créature humaine est soumise au pontife romain : nous le déclarons, l’énonçons et le définissons. » En 1329, Philippe VI réunit l'assemblée de Vincennes afin d'avoir un avis sur les conflits entre la justice temporelle et la justice spirituelle. Pierre de Cuignières défend la supériorité de la justice du roi dans le domaine temporel de la Couronne.
Le 22 mai 1398, à Paris, l'assemblée du clergé se prononce pour la soustraction d'obédience à Benoît XIII et affirme l’indépendance temporelle du roi, la liberté de l’Église gallicane et la supériorité des conciles généraux sur le pape ; la décision est confirmée par l'édit royal du 27 juillet. Le 28 mai 1403, la France restitue son obédience au pape ; Jean de France, duc de Berry, s’oppose en vain à la restitution d’obédience de la France à Benoît XIII, décidée sous l’influence du régent, le jeune Louis d’Orléans, frère du roi. Le 11 septembre 1406, le Parlement de Paris déclare annates, menus et communs services, procurations et autres taxes apostoliques abolis à partir du 27 juillet 1398.
Le 14 janvier 1407, l’Église gallicane reconnaît l’autorité du pape au spirituel seulement. Le 18 février, l'Université de Paris, avec l'appui du duc de Bourgogne et du Parlement de Paris, décide une nouvelle soustraction d'obédience temporelle à l'égard de Benoît XIII.
En 1408, le concile de Paris édicte des décrets sur le gouvernement de l'Église gallicane.
Durant la première moitié du XVe siècle, les Armagnacs, qui soutiennent Jeanne d’Arc, sont partisans des gallicans, les Bourguignons des papistes.
Au concile de Constance (1414-1418), Gerson, chancelier de l’Université de Paris, de concert avec les nations, fait un discours montrant la supériorité du concile au-dessus du pape. Le concile affirme par le décret Sacrosancta qu’il tient son pouvoir directement du Christ pour la réforme de l’Église et adopte le décret Frequens instituant que l’Église serait désormais dirigée par des conciles périodiques.
Le 7 juillet 1438, Charles VII, poussé par les actions du concile de Bâle, publie, avec l'accord du clergé français réuni à Bourges, la Pragmatique sanction de Bourges. Elle établit certaines libertés au sein de l'Église de France qui entraînent la diminution des pouvoirs du pape et supprime les annates. Elle déclare la suprématie des conciles généraux sur le Saint-Siège. La libre élection des évêques et des abbés par les chapitres et les monastères est rétablie. Par la Pragmatique sanction, Charles VII élargit l'autonomie de la royauté et de l'Église de France par rapport à la papauté. Ses successeurs maintiendront les mêmes principes.
Charles VII
En 1450, le clergé de France tente de fonder ses libertés en s’appuyant sur une fausse pragmatique attribuée à saint Louis (IX). Sous Louis XI et Charles VIII, il parvient encore à empêcher la conclusion d’un concordat avec Rome.
Le 8 janvier 1475 est publiée l'ordonnance de Louis XI stipulant que toute décision du pape doit être approuvée par le roi de France avec d'être présentée au Parlement de Paris pour enregistrement et devenir applicable en France ; le pape Sixte IV la condamne 1.
Sous Louis XII, à qui l’appui de l’Église de France est nécessaire pour lutter contre Jules II, l’assemblée du clergé, réunie à Tours en septembre 1510, renouvelle l’affirmation des libertés gallicanes : elle récuse les guerres temporelles du pape contre les princes, autorise les combats royaux et nationaux contre le Vatican, annule toute excommunication pontificale et proclame la supériorité du concile général sur la papauté.
Le concile gallican de Pise (Pise 1511 - Milan 1512), convoqué par Louis XII, dépose le pape Jules II pour divers motifs dont la sodomie. Les prélats quittent ensuite Milan et se retirent à Lyon où ils veulent continuer leur concile, mais sans succès. En 1517, ils sont contraints de présenter leurs excuses au pape.
Le concordat de 1516
Le concordat de Bologne (18 août 1516), signé entre le pape Léon X et le chancelier Antoine Duprat pour le roi de France, François Ier, met fin à la Pragmatique Sanction de Bourges et tempère le gallicanisme. Il permet la mise en place dans le Royaume de France du régime de la commende : les évêques et abbés ne sont plus élus mais choisis par le roi de France ; après avoir été investis spirituellement par le pape, ils jurent fidélité au roi de France qui leur donne leur charge temporelle. François Ier obtient la suppression des évêchés de Bourg et de Chambéry et l'autorisation de prélever un décime (dixième) sur tous les biens de l'Eglise de France. Le concordat de Bologne, contenu dans la bulle pontificale Primitiva illa ecclesia, sera, jusqu'en 1790, la charte de l'Église gallicane.
Le 3 juin 1591, le pape Grégoire XIV renouvelle l’excommunication d'Henri IV qu'il étend à tous ceux qui le soutiendraient : elle a pour effet de rallier au roi bon nombre de catholiques gallicans.
L’ancien calviniste Pithou fait paraître, en 1594, ses Libertés de l’Église gallicane, ouvrage dédié à Henri IV.
En 1611, Edmond Richer publie son De ecclesiastica et politica potestate libellus dans lequel il donne aux conciles l’autorité ecclésiale suprême et refuse au pouvoir pontifical une origine divine. Richer attribue au souverain le droit de décider si l’organisation de l’Église dans le royaume est conforme aux règles canoniques. Le Libellus est interdit par Rome et les synodes provinciaux.
La censure du gallicanisme par le pape Paul V amène en 1614 la déclaration des États généraux (réunis le 27 octobre) affirmant que le roi tient sa couronne de Dieu seul. La même année, le concile de Bordeaux défend aux religieux de confesser sans la permission de l'évêque, malgré les indults qu'ils auraient obtenus de la pénitencerie romaine et refuse l'eucharistie à ceux qui se confesseraient hors de leur diocèse sans autorisation.
Considéré comme dangereux par Richelieu, combattu par Mazarin, toléré puis poursuivi par Louis XIV, le jansénisme qui a pénétré en France, en particulier grâce à Jean Duvergier de Hauranne (1581-1643), abbé de Saint-Cyran, est un foyer d'opposition à l'absolutisme de la monarchie et le levain du gallicanisme parlementaire.
En 1639, paraît le Traitez des droits et libertés de l’Église gallicane des frères Dupuy.
Pierre de Marca, futur archevêque de Toulouse, puis de Paris, publie, en 1641, De concordia sacerdotii et imperii. Il abandonne le conciliarisme, mais maintient l’autorité souveraine des rois de France sur l’Église nationale : cette position devient la doctrine officielle du clergé français sous Louis XIV qui s’oppose violemment à Rome à propos de la régale 2.
Un rapport doctrinal de la Sorbonne, établi en 1663, affirme : « Les papes n’ont reçu de Dieu qu’un pouvoir spirituel. Les rois et les princes ne sont soumis dans les choses temporelles à aucune puissance ecclésiastique ; ils ne peuvent donc pas être déposés en vertu du pouvoir des chefs de l’Église et leurs sujets ne peuvent pas être déliés du serment de fidélité. La plénitude de puissance du Siège apostolique est limitée par les décrets de Constance sur l’autorité des conciles généraux qui ont une valeur durable et non pas seulement pour l’époque du schisme. L’usage de la puissance pontificale est réglé par les canons de l’Église ; mais, à côté d’eux, les principes et les coutumes de l’Église gallicane qui existent depuis toujours doivent demeurer en vigueur. Dans les décisions sur les questions de foi, le pape a la part principale, mais sa décision n’est pas irréformable, à moins que n’intervienne le consentement de l’Église. »
En 1667, le pape Clément IX condamne le Rituel publié par l’évêque d’Alet-les-Bains (Aude), mais vingt-neuf évêques français n’acceptent pas cette condamnation, estimant qu’ils sont juges en la matière : « Comme les évêques sont les vrais docteurs de l’Église, personne n’a le droit de s’élever contre leur doctrine, à moins qu’ils ne soient tombés dans des erreurs manifestes ».
Déclaration des quatre articles
Louis XIV a maille à partir avec la papauté ; mais, s'il semble s'incliner à propos de la Régale 2, la Déclaration des quatre articles sur la puissance ecclésiastique et la puissance séculière (votée le 19 mars 1682 par une assemblée générale extraordinaire du clergé de France) que lui-même et l'évêque de Meaux, Jacques Bénigne Bossuet (1627-1704), ont inspirée, reste une des sources du gallicanisme :
« 1° Saint Pierre et ses successeurs, vicaires de Jésus-Christ, et toute l'Église même, n'ont reçu de puissance de Dieu que sur les choses spirituelles et qui concernent le salut, et non point sur les choses temporelles et civiles. Les rois et les souverains ne sont donc soumis à aucune puissance ecclésiastique par l'ordre de Dieu dans les choses temporelles. Ils ne peuvent être déposés ni directement ni indirectement par l'autorité des chefs de l'Église ; leurs sujets ne peuvent être dispensés de la soumission et de l'obéissance qu'ils leur doivent, ni absous du serment de fidélité.
2° La plénitude de puissance que le Saint-Siège apostolique et les successeurs de saint Pierre, vicaires de Jésus-Christ, ont sur les choses spirituelles est telle, que néanmoins les décrets du saint concile œcuménique de Constance, contenus dans les sessions IV et V, demeurent dans toute leur force et vertu, et l'Église de France n'approuve pas l'opinion de ceux qui portent atteinte à ces décrets ou qui les affaiblissent en disant que leur autorité n'est pas bien établie, qu'ils ne sont point approuvés ou qu'ils ne regardent que le temps du schisme.
3° Aussi l'usage de la puissance apostolique doit être réglé suivant les canons faits par l'esprit de Dieu et consacrés par le respect général ; les règles, les coutumes et les constitutions reçues dans le royaume et dans l'Église gallicane doivent avoir leur force et leur vertu, et les usages de nos pères demeurer inébranlables ; il est même de la grandeur du Saint-Siège apostolique que les lois et les coutumes établies du consentement de ce siège respectable et des Églises subsistent invariablement.
4° Le pape a la principale part dans les questions de foi ; les décrets regardent toutes les Églises et chacune en particulier ; mais, cependant, son jugement n'est pas irréformable, à moins que le consentement de l'Église n'intervienne. »
Le 23 mars 1682, Louis XIV confirme par édit la Déclaration des Quatre articles, qui devient ainsi loi d’État.
Le 11 avril 1682, par le Bref Paternae caritati, le pape Innocent XI annule la Déclaration du clergé de France mais se contente de refuser l’investiture aux évêques présents au synode ; le 6 mai, le clergé français réaffirme les libertés de l'Église gallicane après la protestation du pape à la suite de la déclaration du 19 mars.
En 1687, Innocent XI excommunie Louis XIV qui a formé l'Église gallicane et fait occuper un quartier de Rome par 600 hommes pour maintenir les franchises ; la lettre sera gardée secrète jusqu'à sa découverte en 1913 dans les archives du Vatican (seul le marquis de Lavardin qui commandait la troupe fut excommunié officiellement).
En 1690, Alexandre VIII déclare nulle et sans valeur la Déclaration sur les libertés de l'Église gallicane. Le 7 décembre, il condamne 33 propositions hérétiques, dont la 29e : « Le pouvoir du pontife romain au-dessus du concile, et son infaillibilité dans la décision des questions de foi, est une assertion futile et cent fois réfutée » ; cette proposition condamnée résume la pensée gallicane.
En appuyant les évêques jansénistes qui en ont appelé (les appelants) contre la constitution Unigenitus (1713), le Parlement renforce le gallicanisme d'une partie du clergé français.
En septembre 1718, Clément XI excommunie, par la bulle Pastoralis Officii, ceux qui refusent la constitution.
Benoît XIII (1724-1730) provoque les protestations des gallicans en approuvant, pour le bréviaire romain, une notice sur Grégoire VII, où les prérogatives pontificales sont catégoriquement énoncées, mais n’en céda pas moins aux prétentions des régaliens en reconnaissant au roi de Sardaigne le droit de désigner les évêques, et au roi de Naples celui d’instituer dans son royaume un tribunal des affaires ecclésiastiques.
Le 7 septembre 1731, le Parlement de Paris vote une Déclaration de Quatre Articles (cassée ensuite par le Conseil du Roi) qui va jusqu’à prévoir l’annulation des actes de l’autorité épiscopale.
En 1736 est publié le bréviaire de l’archevêque Charles de Vintimille, dont les auteurs Vigier, Mésenguy et Coffin sont jansénistes : plusieurs diocèses l’adoptent (Blois, Évreux, Séez) ou s’en inspirent (Toulouse, Tours, Chartres, Vienne) et le Parlement de Paris l’approuve.
En 1739, le Missale parisiense de Mésenguy remplace la liturgie romaine dans le diocèse de Paris.
Benoît XIV (1740-1758), voyant un étranger qui ne fléchit pas le genou au moment où il donne la bénédiction papale selon l'usage de Rome, s'esclaffe : "Je pense que c'est un Français ; et je l'excuse, en vertu des libertés de l'Église gallicane."
Le fébronianisme
Clément XIII (1758-1769) défend les jésuites et condamne le fébronianisme, proche du gallicanisme. Le théologien allemand Johann Nikolaus von Hontheim (1701-1790), dit Justinus Febronius, a repris les idées du Belge gallican et janséniste, Zeger Bernard van Espen (1646-1728). Febronius soutient que le pouvoir du pape est limité par les canons conciliaires, qu’il reçoit son pouvoir par délégation des fidèles et que ses décisions n’ont de valeur qu’avec l’approbation de l’épiscopat. Son traité, intitulé De statu Ecclesiae et legitima potestate Romani pontificis, liber singularis ad reuniendos dissidentes in religione christianos compositus, publié en 1763, est mis à l'index en 1764. Finalement, Febronius se rétracte en 1778 et tente de se justifier dans Justini Febronii commentarius in suam retractationem (1781).
Le fébronianisme fut un des efforts par lesquels, après le concile de Trente, le conciliarisme et l’épiscopalisme tentèrent de renaître.
Le 23 avril 1762, le Parlement de Paris, favorable aux jansénistes, aux gallicans et aux philosophes irréligieux mais hostile aux jésuites antijansénistes et ultramontains, supprime la Compagnie de Jésus perverse, pernicieuse, séditieuse, attentatoire, etc. Louis XV, après des hésitations, finit par approuver, en décembre 1764, la sentence de dissolution ; les jésuites sont expulsés de France.
Le 21 juillet 1773, par la bulle Dominus ac Redemptor noster, le pape Clément XIV, sous la pression des cours européennes (notamment des Bourbons) qui jugent l'influence des jésuites trop importante et ne supportent pas leur entier dévouement à la seule autorité du pape, et de celle du clergé (gallican et/ou janséniste) qui leur reproche leur engouement trop ouvertement affiché pour les réformes ecclésiastiques ainsi que leur art subtil de l’inculturation dans les pays de mission (Querelle des rites), prononce l’extinction de la Compagnie de Jésus.
Pie VI (1775-1799) tente d'enrayer le fébronianisme.
En septembre 1786, Léopold Ier, grand-duc de Toscane, organise un synode à Pistoia. Le synode est condamné par la bulle dogmatique Auctorem fidei de Pie VI car il approuve la réforme religieuse teintée de jansénisme, orientée contre le catholicisme romain et reprenant les idées du fébronianisme.
La constitution civile du clergé
Le gallicanisme parlementaire inspire, en 1790, la Constitution civile du clergé, qui est condamnée par Pie VI et provoque un schisme dans l'Église de France.
Le 16 juillet 1801 à 2h00 du matin (27 messidor an IX), après de longues heures de discussion, le cardinal Consalvi (pour le pape) signe avec Joseph Bonaparte (pour le Premier Consul) un concordat qui abolit la loi séparant l'Église de l'État. Le pape Pie VII signe le traité le 15 août, Bonaparte le 8 septembre. Le Concordat, convention du 26 messidor an IX (1801), est ratifié par la loi du 13 germinal an X (loi du 8/4/1802 votée le 5).
Le concordat de 1817
En 1817, Pie VII refuse d’approuver le nouveau concordat négocié avec les Bourbons restaurés, parce qu’il le juge trop gallican : le concordat de 1801, un moment abrogé par Napoléon (1812), restera en vigueur jusqu’en 1905. Ne revenant pas sur l’attribution des évêchés, le concordat de 1817 maintient le principal grief qui a déjà donné naissance à différents groupes de dissidents : stevenistes (Belgique), enfarinés (Aveyron), blanchardistes (Calvados), filochois (Indre-et-Loire), illuminés (Lot-et-Garonne), fasnieristes (Manche), clémentins (Seine Inférieure), purs (Montpellier), Petite Église (Lyon). Cette dernière dénomination va devenir dominante : la Petite Église compte, aujourd’hui encore, quelques groupes dans la région lyonnaise et dans l’ouest de la France.
Sous Charles X, c’est encore le gallicanisme le plus traditionnel qui inspire les ordonnances de 1828 : elles excluent de l’enseignement les congrégations non autorisées, notamment les jésuites, et obligent à nouveau d’enseigner les Quatre Articles de 1682 dans les séminaires où le nombre d’élèves est limité.
L’encyclique Mirari vos, publiée par Grégoire XVI, le 15 août 1832, renouvelle les condamnations contre le rationalisme et le gallicanisme, si vigoureusement dénoncés par Lamennais depuis quinze ans. Elle s’en prend au libéralisme sous ses différentes formes, cette maxime fausse et absurde ou plutôt ce délire, selon lequel on doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience, la liberté de la presse, liberté exécrable pour laquelle on n’aura jamais assez d’horreur et dont il est illusoire d’attendre d’heureux résultats, l’excitation à la révolte contre les princes et la séparation de l’Église et de l’État.
Le clergé se tourne de plus en plus vers Rome, si bien que, au cours du XIXe siècle, le gallicanisme est remplacé, peu à peu, par l'ultramontanisme.
L’encyclique Quanta cura, publiée par Pie IX le 8 décembre 1864, condamne le rationalisme, le gallicanisme, le socialisme, le libéralisme, etc. L'action centralisatrice de ce pape entraîne une réaction néogallicane d'évêques qui tiennent à sauver les libertés et traditions de l'Église en France.
Le 25 février 1870, meurt Louis-Jacques-Maurice de Bonald, archevêque de Lyon, qui fut l'un des plus fervents défenseurs de l'ultramontanisme contre le vieux gallicanisme français.
Le 18 mai 1880, meurt Louis-Edouard Pie, cardinal de Sainte-Marie-des-Victoires, qui fut l'un des principaux chefs ultramontains du XIXe siècle, défendant la primauté spirituelle et juridictionnelle du pape sur le pouvoir politique, en opposition au gallicanisme.
La déclaration de la primauté de juridiction immédiate du pape sur toute l'Église et la proclamation de son infaillibilité par le concile Vatican I (1869-1870) puis la séparation de l'Église et de l'État (1905) mettent fin au gallicanisme. Cependant, le 3 décembre 1883, soutenu par les Vieux catholiques, le prêtre (excommunié) Hyacinthe Loyson obtient par décret du président de la République Française l'autorisation d'ouvrir un lieu de culte au nom de l'Église gallicane (rue d'Arras à Paris). Le 15 février 1916, à Gazinet en Gironde, est déclarée la constitution de l'Association cultuelle Saint-Louis à l'origine de l’Église gallicane dite de Gazinet.
CITATIONS
Vous pouvez tout, mais rien ne convient mieux à la puissance que la règle ; vous êtes non pas le seigneur des évêques, mais l’un d’eux. On ferait un monstre du corps humain, si l’on attachait immédiatement à la tête tous ses membres. [Bernard de Clairvaux au pape Eugène III (1145-1153)]
Il est certain que le souverain pontife peut errer, même dans les choses qui regardent la foi. (Adrien VI, pape de 1522 à 1523)
L'Eglise gallicane a été fondée par le sang d'une infinité de martyrs. (Bossuet + 1704)
Ce n'est plus de Rome que viennent les empiétements et les usurpations ; le roi est, en réalité, plus le maître de l'Église gallicane que le pape ; l'autorité du roi sur l'Église a passé aux mains des juges séculiers ; les laïques dominent les évêques. (Fénelon + 1715)
L'Eglise gallicane se trouva, pour ainsi dire, en naissant, la première des Églises nationales. (Joseph de Maistre + 1821)
La congrégation de l'Oratoire fut gallicane, au risque d'entendre dire qu'elle était janséniste. (Charles François Marie de Rémusat + 1875)
Notes 1 L'Histoire des Papes et des Saints, n°7, Ed. SENO 2 "La Régale ou droit de régale est l'ensemble des droits que le roi de France avait sur les diocèses catholiques qui temporairement n'avaient pas d'évêque titulaire. On distinguait la "régale temporelle" qui donnait au roi les revenus de l'évêché et la "régale spirituelle" qui permettait au roi de pourvoir pendant la vacance aux bénéfices qui étaient à la collation de l'évêque" (http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_r%C3%A9gale).